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daniel Denise
30 septembre 2008

Exposition Anne Creusot / In Memoriam

Exposition
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Anne Creusot / In Memoriam
13 juin – 31 août 2008

“une maison / une ville / un paysage”

“Pour qu'il y ait paysage, il faut qu'un pont soit jeté entre le monde et nos désirs, nos rêves, notre existence. Pour qu'il y ait sentiment d'identité, il faut que les hommes aient le sentiment d'avoir vécu et de vivre la même aventure. Notre inscription dans l'espace, même hasardeuse, pour peu qu'elle se perpétue, provoque ces deux résultats. Les hommes d'un quartier, d'une ville, d'une région, d'un pays, ont conscience d'accomplir un voyage commun. Ils sont semblables, toutes choses étant différentes, à un équipage, aux membres d'une expédition. Ils traversent ensemble des saisons, des inondations, une chaleur particulièrement pénible, le gel qui saisit, cet hiver-là, les pierres. Ils ont été les témoins d'un paysage qui a vieilli en même temps qu'eux, et ce témoignage les unit. Ils n'ont pas à être semblables, et on voit mal comment et pourquoi ils aboliraient leurs différences. Ce qui importe, c'est qu'ils participent à la même aventure. Il faudrait multiplier les métaphores pour exprimer ce va-et-vient des hommes à travers des lieux communs; leurs regards se polissent par l'effet de ce qu'ils regardent, ils se frottent contre les pierres, contre les murs, ils emportent avec eux un peu de la rectitude d'une façade, de la liquidité du fleuve ou de la lumière d'un ciel et, sans le savoir, ils l'échangent entre eux. Leurs existences s'entrelacent dans ce qu'ils vivent ensemble".* C'est par ce texte de Pierre Sansot, qu'Anne Creusot introduisait, il y a quinze ans, Lieux communs, ouvrage magnifique de rigueur et de simplicité, qu’elle dédiait à Jean, un être cher, dont j'ai appris plus tard qu'il était son frère. Pierre, Jean et Anne ont disparu, prématurément, l’écrivain, le frère, et la jeune architecte, ce qui donne à cette exposition un ineffable parfum de tristesse. Une tristesse presque métaphysique, qu'Anne semblait porter en elle, et qui traduisait confusément ce sentiment de gravité, ce rapport au monde, fait d'attention et de générosité, que l'on ressentait en sa présence discrète. Anne était une personne attachante, réservée dans son rapport aux autres, posée secrètement à nos côtés comme une feuille envolée d’un arbre, avec ce privilège de la légèreté qui enlumine le rapport à l’espace de ceux qui ont éprouvé leur corps dans la danse. Anne cherchait quelque chose. Une vérité en creux, inscrite entre les êtres, dans l’interstice des liens qu'ils établissent dans ce voyage silencieux qu’ils accomplissent au coin de leur rue, dans leur jardin, dans leurs rêves. Il y a quinze ans, Anne avait tenté d’en saisir la substance. Une substance évanescente, qu'elle n'était parvenue à fixer qu’au prix d’un travail intense, calme, patient, passionné. Il faut aimer les autres et voir en eux la beauté pour accéder à ce trésor caché. Celle des lieux ressentis et des paysages intériorisés. Celle des mots employés pour les dire. Anne avait trouvé la manière. Peut-être la méthode. Elle l’avait inventée. Intuitivement. Objectivement. D'abord,choisir les personnes. Se tenir à l'écart. Auprès d'elles, mais en léger retrait. Recueillir les paroles / transcrire / écrire. Créer la matière onirique. Déceler les structures signifiantes. Couper / découper / assembler. Restituer l'espace. Explorer sa texture...

Anne disait ne s'intéresser à l'architecture que dans la mesure où celle-ci peut offrir un sens et une valeur symbolique à ceux qui l'habitent et qui la parcourent. C'est ainsi qu'elle voyait la ville, le quartier, la maison, et tout espace voué au quotidien. Anne avait fait sienne cette pensée de Daniel Sibony, pour qui l'espace, s'il ne s'identifie pas, à proprement parler, à "l'Autre", sert cependant à "déployer nos rapports avec lui". Elle cherchait à mesurer la validité d'une telle proposition. La parole la captivait, car elle était persuadée d'y découvrir l'essence même de l'architecture, sa banalité, son universalité. Comme Fernando Pessoa, elle voulait voir "l'humain" dans "l'homme de la rue" et se laisser envahir, comme le poète, par cette sorte de "tendresse informe", infinie, pour "ce chef de famille qui s'en va au travail, pour son foyer humble et joyeux, pour les plaisirs gais et tristes dont sa vie est forcément composée, pour son innocence à vivre sans analyser". "Toute la vie est un rêve", écrit Pessoa. "Personne ne sait ce qu'il fait, personne ne sait ce qu'il veut, personne ne sait ce qu'il sait. Nous dormons la vie, éternels enfants du Destin. Pour cela, je sens une tendresse informe et immense pour l'humanité enfantine, pour toute la vie sociale dormante…". Anne voulait préserver, en elle, cette part d'innocence et de sommeil commun. Elle souhaitait écouter, pour ne pas oublier "la complexité de la réalité humaine", ses contradictions, ses attentes, "ses désirs mouvants quant à l'espace construit". Toutes sortes de regards lui importaient, "chacun ayant sa valeur en soi". A partir de questions indéfinies, prétextes à l'évocation d'un sentiment, d'une sensation quant à l'espace vécu, elle parvenait à initier le monologue. "Commence alors le voyage, intérieur celui-là. J'y assiste, c'est parfois très émouvant… L'envie de dire se fait jour: je découvre une grande sensibilité à l'espace et une réelle capacité à le définir. Il s'agit, la plupart du temps, d'une vision synthétique et globale... Et pour moi commence le vrai silence: je capte, je reçois... Puis vient la transcription: je suis cette fois en dehors, une autre vitesse aussi, retour en arrière, répétitions... Nouvelles découvertes: les gestes, les expressions du visage se révèlent par la combinaison de la distanciation, de la répétition, des arrêts sur image. La transcription se mue alors en décryptage. Et, troublée, j'entends des choses que je n'entendais pas au rythme de la conversation ordinaire... Il y a dans toute parole un sens profond qui habituellement nous échappe…". De ces paroles hétérogènes, Anne est parvenue à composer un paysage.

Un paysage diaphane que nous voulions explorer avec elle. Cette exposition à Briey, nous l'avions évoquée à plusieurs reprises, brièvement, mais sur une longue période, oblongue même, comme si nous avions toute la vie devant nous. Certains projets sont lents à prendre corps. D'autres se réalisent rapidement. Celui que nous avions avec Anne était de ceux dont la mise en espace s'impose immédiatement, mais qui, pour des raisons diverses, tardent à se faire. La vision initiale d'une exposition se modifie presque toujours lors de sa réalisation. La disparition d'Anne a laissé le projet dans l'état où nous l'avions imaginé, il y a treize ans. Mais son absence l'a infléchi, en rendant explicite, par le souvenir, l'équation créative qui donne à lire, dans tout travail vivant, un autoportrait: Anne en gravité légère, belle, généreuse, secrète.**

Joseph Abram ***

* Pierre Sansot, La France sensible, cité par Anne Creusot, in Lieux communs, mémoire de fin d'études, École d'Architecture de Nancy, 1993.
** Anne Creusot était architecte. Elle a travaillé, pendant dix ans, à l'Atelier d'Emmanuelle et de Laurent Beaudouin, où elle a contribué à de nombreux projets, notamment au Musée Matisse du Cateau-Cambrésis. Anne est morte le 30 septembre 2007. Elle avait 44 ans.
*** Joseph Abrahm est professeur à l'école d'architecture de Nancy.
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Informations:
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1, Av du Dr P. Giry                  
54 150 BRIEY-EN FORÊT
Courriel : lapremiererue@briey-cable.com
Blog : www.lapremiererue.fr         
Tél/Fax : 03 82 20 28 55 

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